La demi-pâte française

N.B. Il n’existe pas, à ma connaissance de traduction anglaise du terme « demi-pâte ». Les ouvrages qui traitent de cette technique sont d’origine française et n’ont jamais, à ma connaissance été traduits en anglais. Ce qui pourrait expliquer en partie pourquoi peu de peintres d’expression anglaise connaissent cette technique bien qu’ils vouent une grande admiration au rendu exceptionnel de Bouguereau Par exemple, le précieux ouvrage de Xavier de Langlais « La technique de la peinture à l’huile » grâce auquel j’ai pu orienter mes recherches dans la bonne direction n’est édité qu’en français. 

Comme son nom l’indique la technique en demi-pâte était pratiquée principalement par les peintres académiciens au XIXe siècle en France. William A. Bouguereau en est le plus célèbre représentant. C’est lui et d’autres maîtres du même acabit comme Cabanel, Gérôme, Meissonnier et bien d’autres artistes exceptionnels de cette époque qui ont porté cette technique à son niveau maximal de beauté et d’efficacité.

ASPECT

Comme on peut s’en douter, une œuvre réalisée en demi-pâte ne comporte pas d’empâtements. La matière est dense, d’aspect lisse, lustrée et translucide. Les couleurs sont passées avec délicatesse – selon le degré de maîtrise de l’exécutant.

USAGE – MALLÉABILITÉ

Le rendu exceptionnel des œuvres des maîtres est étroitement lié à l’utilisation des résines. Un médium à peindre résineux nous donne une pâte dense et malléable sous le pinceau. Cette plasticité de la matière s’accentue progressivement en cours d’exécution et le peintre synchronise son travail de façon à profiter au maximum de cette prise progressive. Ainsi, il peut raffiner son rendu tout au long de sa journée. Il reprend tout par superposition plusieurs fois jusqu’à pouvoir réaliser en fin de journée les glacis les plus subtils dans le frais.

Il suffit d’utiliser une fois un médium résineux pour comprendre que tout le plaisir de peindre en dépend.

À QUI S’ADRESSE LA TECHNIQUE EN DEMI-PÂTE

Peindre en demi-pâte exige de suivre un protocole d’exécution très rigoureux. Tellement rigoureux qu’il est essentiel d’avoir atteint un niveau très élevé de maîtrise pour pouvoir s’y frotter.

La moindre hésitation en cours de travail nous fera perdre le momentum de prise progressive de la pâte. Ici, les hésitations, les aller-retour incessants (faire, défaire, faire, défaire) sont désastreux. Chaque touche doit être un pas en avant.

Par conséquent, avant même de commencer à peindre Il est essentiel de bien visualiser toutes les étapes à suivre jusqu’au résultat final ce qui implique de consacrer beaucoup de temps en études préparatoires.

Plus le travail préparatoire sera rigoureux plus le rendu sera spontané car l’esprit est alors débarrassé de toute préoccupation. Ne reste que le plaisir de peindre.

Risque d’embus

La principale contrainte de la demi-pâte est de devoir respecter des temps de séchage importants (deux semaines en moyenne) entre les reprises. Le travail réalisé en une journée ne peut en aucun cas être retouché le lendemain sous peine de provoquer de fort désagréables embus.

Si vous êtes de ceux qui ne peuvent s’empêcher de revenir incessamment jour après jour sur leur tableau de façon intuitive et désordonnée, cette technique n’est pas pour vous.

CHIMIE ET PHYSIQUE DES MATÉRIAUX

Pour pratiquer la demi-pâte, il est essentiel de bien comprendre le comportement de la matière et pour ce faire il faut posséder un maximum de connaissance du métier.

En fait, tout peintre digne de ce nom et ayant des prétentions professionnelles se doit de posséder un minimum de connaissance concernant les propriétés des produits qu’il utilise. Et ce quel que soit le genre pictural qu’il exerce.

Un cours d’initiation à ces connaissances est présenté à l’Académie des beaux-arts de Québec :
LES SECRETS DE LA PEINTURE À L’HUILE : LES MATÉRIAUX ET LEUR BON USAGE
Ce cours est maintenant disponible en vidéo accompagné d’un document écrit. En français seulement cependant. Une version avec sous-titres anglais est en projet.

Contenu :   
Les supports :    Bois, toile et autres supports marouflés
Les enduits :      Gesso organique à la colle de protéine, gesso acrylique
Les pigments :   Pigments stables vs pigments à éviter, Comment lire un tube de peinture
Les huiles :         Propriétés, siccativité. Clarté et jaunissement, Durabilité
Les résines :       Fonction. Résines végétales ou synthétiques, dures et tendres, baumes
Les solvants :     Solvants végétaux : D-limonene, térébenthine rectifiée, essence d’aspic
                             Solvants minéraux à base de pétrole, solvants sans odeurs
Les vernis :         Vernis à peindre et à retoucher. Vernis provisoire et définitif
                             Leur composition, leur fonction et quand les appliquer.

MÉDIUMS À PEINDRE de Bouguereau

On présume aujourd’hui que Bouguereau utilisait des médiums à base de résine copal : Médium Siccatif Flamand et Médium de Harlem Duroziez fabriqués par Lefranc & Bourgeois, maison fondée à Paris en 1720 et toujours active.

Médium siccatif flamand et Médium siccatif Harlem DUROZIEZ (LEFRANC & BOURGEOIS)

J’ai peint pendant plusieurs années avec ces médiums. Le copal est une résine très dure qui donne à la couche picturale un très bel aspect d’émail et confère à la pâte une dureté sans pareille assurant par le fait même une très bonne pérennité à l’œuvre.
N.B. Contre toute attente, la couleur sombre du médium au copal n’affecte en rien la luminosité des couleurs.

Malheureusement, le fabricant (Lefranc & Bourgeois) a cessé récemment la fabrication de ce médium à peindre que la maison produisait pourtant depuis au moins deux siècles. Effet pernicieux de l’offre et de la demande.

Utilisé adéquatement, c’était un médium très efficace mais plutôt capricieux. La prise progressive de la pâte se faisait par plateaux étalés sur une période d’environ 8 heures. En fin de séance, la pâte avait tendance à saisir en accéléré de telle sorte qu’on pouvait, par manque d’expérience se laisser surprendre et n’avoir pas terminé le morceau entrepris avant que la pâte ne devienne trop tirante.

MÉDIUM À PEINDRE MAISON

Aujourd’hui, je peins avec des médiums de fabrication artisanale puisqu’il n’existe pas sur le marché de médium qui réponde à mes attentes. Ce sont des amis et collaborateurs ayant les compétences nécessaires en chimie qui ont mis au point les médiums que j’utilise aujourd’hui. À force de recherche et d’expérimentation, nous sommes parvenus à mettre au point des médiums qui conviennent parfaitement à la demi-pâte et qui remplacent avantageusement le Médium siccatif flamand. La prise est plus régulière et le temps d’exécution est prolongé. Ce qui soulage d’un grand stress l’exécution.

Il est possible que ce médium se retrouve sur le marché à moyen terme si la demande se fait sentir. Il est présentement disponible uniquement à l’Académie des beaux-arts de Québec. En petites quantités et à l’usage de nos étudiants.

La chimie contemporaine dispose de moyens et de connaissances qui permettent d’améliorer grandement la qualité des matériaux dont disposaient les peintres du passé. Autant en ce qui concerne les médiums que les couleurs (voir chapitre suivant : LES COULEURS). Par exemple, j’utilise principalement comme diluant du D-limonène.

LES COULEURS

J’utilise uniquement des couleurs extra fines dont la durabilité est sans faille. Certaines sont à l’usage des peintres depuis fort longtemps, d’autres, issues de la chimie contemporaine ont avantageusement remplacé des couleurs d’autrefois trop fragiles.Par exemple, les couleurs d’origine végétale (Rubia tinctorium) comme la Garance NR9 (Madder Lake, Carmin, Alizarin Crimson PR83 etc.) sont de très beaux rouges magentas mais extrêmement sensibles à la lumière. Ils sont heureusement substituables de nos jours par des pigments organiques de synthèses d‘une très grande solidité comme les quinacridones PR122.

POUR VÉRIFIER LA SOLIDITÉ DE VOS COULEURS

Il est très important de bien lire les étiquettes. Toutes les subtilités et les codes à connaître sont très bien présentés sur : https://annemarieboisvert.com/comment-lire-une-etiquette/

En aucun cas on ne peut se fier au nom poétique attribué au couleurs. Tous les fabricants de couleurs à l’huile se doivent d’indiquer sur leur tube la composition de leurs couleurs selon un code international. Prenez note de ce code et allez consulter la fiche signalétique sur : http://artiscreation.com

     

À titre indicatif, voici la liste de mes couleurs de prédilection. Ma préférence pour Old Holland est certaine mais j’ai aussi recours aux produits d’autres fabricants qui font des couleurs extra-fines de qualité. 

Couleurs extra fines Old Holland:

• BLANC DE TITANE (PW6)
   BLANC D’ARGENT : CARBONATE DE PLOMB (PW1)
• JAUNE SHEVENINGEN CLAIR : MONOAZO (PY74)
• JAUNE DE MARS : OXYDE DE FER (PY42)
• CORAIL ORANGE : PYROZOLO QUINAZOLONE (PO67)
• ROUGE SHEVENINGEN FONCÉ : AZOÏQUE CONDENSÉ (PR214)
• ROUGE DE MARS – VÉNITIEN : OXYDE DE FER (PR101)
• MAGENTA : QUINACRIDONE (PR122)
• VIOLET DE MARS – CAPUT MORTUUM : OXYDE DE FER (PR101)
• BLEU DE CARIBE : PHTALOCYANINE (PB16)
• BLEU D’ANCIEN DELFT : INDANTHRONE (PB60)
• VERT OXYDE DE CHROME (PG17)

 


À venir :
MODUS OPERANDI – Processus et application de la technique en demi-pâte

ÉTAPES :
Études préparatoires :
Recherche, dessins, composition, gamme de couleurs, carton pour transfert.
Exécution alla prima
Exécution en deux couches
Première couche : exemples de Bouguereau en fin de vie.
Temps de séchage à respecter – risque d’embus.
Deuxième et dernière couche
Glacis facultatifs