L’utilisation de la photographie par les peintres est un sujet controversé.
Certains puristes bannissent carrément cet usage. C’est leur choix. Personnellement, je constate qu’un emploi avisé de la photographie ouvre des portes sur des possibilités de création  inaccessibles autrement.

Depuis son invention, bien des peintres l’ont utilisée comme source de référence. Et même bien avant, d’autres procédés d’optique comme la boîte noire ont rendu de fiers services aux peintres.

Et je sais que bien des puristes utilisent quand même la photo référence en cachette par nécessité car ils craignent d’être accusés de tricherie par d’autres puristes ou par un certain public qui n’y connait rien. Les ignorants sont toujours les premiers à porter des accusations et à vouloir jeter la pierre avec empressement.

Je vais tenter ici d’apporter quelques lumières sur le sujet.

Le travail d’après nature

Il est vrai que le peintre doit travailler principalement d’après nature. C’est en s’exerçant à observer la réalité qu’il raffinera sa perception et qu’il découvrira comment traduire ce qu’il voit de façon picturale. Le réel étant fugace, l’artiste développera nécessairement sa rapidité de perception, de synthèse et l’habileté de la main; sureté, souplesse, virtuosité et beauté du geste.

Cet exercice se prête bien à la nature morte en atelier, au portrait rapide et aux études avec modèle professionnel.

Mais lorsque nous avons besoin de plus de temps pour peaufiner notre rendu, la photographie peut devenir un allié incomparable.

Arrêter le temps

La photographie arrête le temps sur une fraction de seconde et nous permet d’avoir accès à des aspects de la réalité imperceptibles et inaccessibles autrement.

Pour le portrait, la photographie nous permet d’explorer rapidement toute la géographie faciale de notre modèle, ses attitudes et son sentiment et de percevoir sa véritable identité. De plus, il peut être parfois très difficile de garder la pose sur une longue période pour quelqu’un qui n’est pas un modèle professionnel ou qui a des problèmes de proprioception.

Même chose pour les modèles professionnels. Certaines poses très dynamiques sont totalement impossibles à tenir. Grâce à la photographie, il est révolu le temps où il fallait ficeler notre modèle dans la pose désirée en lui infligeant des souffrances atroces et possiblement provoquer des blessures.

L’art de la photographie adapté à la peinture

Le peintre qui veut exploiter la photographie doit devenir un excellent photographe. Il doit devenir meilleur photographe qu’un simple photographe car il doit photographier comme un bon peintre.

Ici, j’insiste sur la nécessité de prendre et de travailler à partir de photographies impeccables.

Je rejoins l’intolérance des puristes lorsque je constate l’influence désastreuse que peut avoir la mauvaise photographie sur la peinture réaliste contemporaine. N’importe que appareil photo est moins sensible que l’œil humain. Le peintre doit tout mettre en œuvre pour que sa documentation photo lui donne un information qui se rapproche le plus possible de la perception que son œil lui donnerait autant dans les ombres que dans les lumières.

L’appareil photo est un outil simplement différent du pinceau. À la prise photo, le peintre doit se comporter comme s’il s’apprêtait à peindre. Tout doit être parfait; l’éclairage – le jeu des ombres et des lumières, le point de vue, la perspective, le rapport sujet fond etc.

Les principaux pièges à éviter

Les trop hauts contrastes – blancs brulés, noirs opaques.

Notre documentation devrait nous donner de l’information autant dans les zones d’ombre que dans les lumières. Il est essentiel de photographier avec un éclairage beaucoup  plus doux que pour le travail en direct. Cette faiblesse de l’appareil photo devient encore plus évidente lorsqu’on veut travailler à contre jour. Dans ce cas, il devient parfois nécessaire de prendre plusieurs clichés à des ouvertures différentes; sous ex pour l’information dans les lumières, sur ex pour les ombres.

C’est là que l’expérience de travailler en direct entre en oeuvre. Le peintre expérimenté saura compenser et voir ce que la photo ne lui montre pas.

Les flous photo vs qualité des passages

En photographie, la variété des zones nettes et plus ou moins floues est produite mécaniquement par la profondeur de champ. Le peintre doit lui-même réévaluer la répartition et la qualité des passages nets doux ou perdus de manière à concentrer l’attention là où il la veut dans son œuvre. De plus, les arrières plans flous créés par le peu de profondeur de champ ont une signature typiquement photographique. Les reproduire tel quel est une aberration. Le savoir faire du peintre doit opérer.

Les distorsions

Les effets de lentille peuvent occasionner des déformations. Il est important de respecter une distance considérable entre l’appareil et le sujet de manière à minimiser les distorsions.

Vermeer. «Officier et jeune fille riant» H. 43 cm. (Officer and Laughing Girl)

Ces effets peuvent être admissibles pour des œuvres de petit format  auxquelles ils ajouteront un effet de perspective dynamique. Cependant pour les œuvres de très grand format incluant des personnages grandeur nature, toutes les composantes du corps humain doivent être grandeur nature et tous les personnages situés sur un même plan seront à la même échelle. C’est l’observateur qui créera la perspective en déambulant devant l’œuvre.

Bouguereau. «La jeunesse de Bacchus» 331 x 610 cm (130,31’’ x 240.16’’)

Le point de vue de l’observateur crée la perspective.

Peinture murale à Sherbrooke.

Conclusion

Peindre d’après nature ou d’après photographie?
Inutile de comparer des pommes avec des oranges.
La qualité de l’œuvre qu’on en tirera est la seule chose qui compte.

Le peintre est le maître de ses outils.

D.J.